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uit het „journal d’ideés” van theo van doesburg
29 aug. ’30.
de angst voor geometrie in de schilderkunst is niet recht verklaarbaar. het wezenlijke daarbij is toch niet een dood spel van louter getallen of getalsverhoudingen zonder meer.
voor mij is de geometrie veel eerder: de levende aanschouwing van tastbare verhouding, welke eerst door het getal tot volkomen klaarheid en zekerheid komt. zonder de geometrie blijft deze verhouding steeds speculatief, zij komt eerst tot be-
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vrijding door het getal. zoowel voor de muziek als voor de werkelijke architectuur is het getal de basis. het kan zijn, dat dit als beginsel klassiek is, doch dan „klassiek” in den zin van universeel, „constant”. het gaat er toch per saldo niet om, om coûte que coûte „modern” te willen zijn, of terwille van een relatief „modernisme” het juiste en ware te willen verloochenen.
wat ik als constructief plan der schilderkunst langs dezen weg gevonden heb, geeft mij steeds weer opnieuw de aangename sensatie eener volkomen „zekerheid”.
het procédé, dat uit deze werkwijze volgt, is in geen enkel opzicht speculatief, dus constant en in plaats van een verarming in betrekking tot het produceeren, is het eerder een verrijking. uit een schema volgt een geheele serie van werken, die alle totaal verschillend zijn, zonder echter de mathematische ondergrond te verliezen.
wat nog een nadere studie eischt is de kleur. in hoeverre is de kleur in rapport met de constructie. volgt uit een bepaalde verhouding b.v. 1½, 3, 6, 12, 24, 48 enz. ook een bepaalde verhouding van kleur. vermeden zal moeten worden, te zeer van het vlak uit te gaan en niet van de kleur.
30 aug. ’30.
les peintres d’autrefois avaient des ambitions hors de la peinture. ils voulaient créer des hommes. ils voulaient mettre une âme dans la matière ou un sentiment dans une „créature”. van gogh parlait même de l’âme d’un arbre. ces ambitions ont produit pas mal d’erreurs au point de vue „peinture”, parceque la seule ambition qu’un peintre peut avoir est d’animer une surface plane par une couleur. dans la peinture non-anecdotique (le naturalisme et l’impressionisme,), la couleur était encore une qualité de l’objet. même erreur. la réalité était identifiée à une foule de petites surfaces colorées; par le ton juste, le peintre a exprimé l’objet et sa propre qualité picturale: sa couleur.
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si on a compris qu’il ne s’agit pas, dans la peinture, de ècréer” un homme ou un animal, on a remplacé cette ambition par celle de créer la „lumière”. même défaut, même erreur. enfin on a compris qu’il n’importe, dans la peinture, rien d’autre que... la peinture.
qu’est ce qu’un tableau? un tableau est une „constante de rapports”. le mouvement est étranger au tableau. avec le mouvement commence le film, c. à. d. la „variante de rapports”. si la peinture a encore une raison d’être, c’est grâce à son caractère stabile.
31 aug. ’30.
c’est le mouvement qui crée le „drame”. un objet en mouvement doit inscrire tous les accidents temporaires et cette inscription est toujours dramatique.
4 sept. ’30.
parcequ’on n’a pas compris le vrai caractère de la toile au mur, on a cru que la suggestion d’un plan en mouvement donnerait à la peinture une nouvelle dimension. les expérimentalistes (lissitzky, moholy-nagy, rodchenko, eggeling etc.) ont matérialisé l’idée-plastique par le film, mais, même si leurs expériences ont une valeur temporaire, ils sont retournés au mouvement suggéré dans la peinture ancienne, dès les grecs. dans l’art ancien de n’importe quel époque, depuis praxitèle jusqu’ à delacroix les artistes ont voulu suggérer le mouvement. ce dynamisme a trouvé son sommet dans le baroque avec michelange par excellence. ce mouvement n’était autre chose qu’une stérilisation de l’instantané, d’une action.
et voici la différence entre la peinture nouvelle et l’illusionisme ancien: le dynamisme d’autrefois est remplacé par la constante de rapports, l’équilibre parfait entre action et repos.
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15 sept. ’30.
dans la peinture il ne s’agit ni de la nature, ni du tempérament, ni même de la représentation de la première à travers le dernier.
la constante ou, autrement dit, l’élément fixe, est la couleur. c’est d’elle et de rien d’autre que le peintre sort pour arriver à une construction picturale sur une base mathématique. tout le monde parle de la géometrie, mais personne ne s’en sert. les cubistes, les futuristes, même les impressionistes en parlaient; mais dans les oeuvres des peintres cubistes, futuristes ou impressionistes on n’en trouve la moindre trace.
2 oct. ’30.
tout le monde est d’accord au point de vue de la „nature du peintre”. si quelqu’un est peintre mais en même temps demi-fou et si ce peintre travaille dans un état d’âme déséquilibré, personne ne dira que son art est malsain, décadent. au contraire, un peintre enragé sera sans doute un génie, un artiste de grand valeur.
mais pourquoi, je me demande, si un peintre peut être en même temps un imbécile comme la plupart d’entre eux, pourquoi ne pourra-t-il pas être, en même temps, un philosophe, un homme intelligent?
j’ai horreur de tout ce qui sent le „tempérament”, l’inspiration, le „feu sacré” et de tout attribut du génie qui cache la malpropreté de l’esprit.
1 nov. ’30.
je ne sais pas si la pesanteur joue en peinture le même rôle que la pesanteur en musique. il existe en musique une expression qui montre la grande importance du poids de tons. les théoriciens allemands et autrichiens comme arnold schönberg apellent cela „gewichtsverhältniss” (rapport de pesanteur) des tons.
la peinture a sans doute d’autres poids que la musique, mais il existe, malgré la différence essentielle, une conformité au point de vue pesanteur. le noir, le bleu, le
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violet et même le rouge pèsent plus que le blanc, le jaune, le vert etc. après und certain ordre d’idées on pourrait dire que le peintre doit neutraliser ces qualités naturelles des couleurs. peindre c’est neutraliser les moyens picturaux, soit par l’instinct, soit par le nombre, surtout par le néo-plasticisme. cette neutralisation devint systématisée.
mes amis et moi nous neutralisions tous les éléments et c’est vraiment remarquable que le peintre mondrian est resté fidèle à cette idée classique, c. à. d. l’idée de l’équilibre absolu.
j’ai expliqué dans „de stijl” maintes fois notre attitude collective, il s’agitait d’arriver au o comme axe neutre, comme moment d’harmonie absolue. et voici les éléments (ou „moyens”) que nous voulions neutraliser complètement.
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statique
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dynamique
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position
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mesure
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couleur
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positives
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couleurs négatives
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rouge
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noir
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bleu
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gris
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jaune
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blanc
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l’harmonie parfaite qui résultait de cette discipline picturale était profondément classique et si on fait abstraction des figures un tableau d’ingres ou poussin est identique avec un tableau de mondrian ou van der leck.
ce que j’appelle nouveau, c. à. d. au niveau moral et spirituel de notre époque, est justement le contraire. ce qui nous intéresse est l’anti-gravitation, l’obliquité, un nouveau sentiment au point de vue couleur. l’admiration des dissonances, l’apparition d’un nouvel espace, un „continuum” pictural dans lequel se développe notre nouvelle idée plastique.
10 nov. ’30.
bien que je ne sois pas ravi par la musique de saint-saëns, laquelle je connais d’abord très peu, j’affirme
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tout ce qu’il a dit au point de vue de l’art de l’avenir, notamment dans ses lettre à m. camille bellaique:
„l’art est fait pour exprimer la beauté et le caractère. la sensibilité ne vient qu’après et l’art peut parfaitement s’en passer. c’est même mieux pour lui qu’il s’en passe. comme je vous l’ai démontré, avec la sensibilité s’introduit en lui le germe de la décadence et de la mort.
il n’y a pas de sensibilité dans la première fugue du clavecin bien tempéré de bach et c’est de l’art le plus grand.”
si la musique de sébastien bach n’était pas un peu trop papier peint, créé par l’ordre d’un motif, se répétant et se déformant comme les motifs des tapis orientaux, on pourrait dire que bach était un bel exemple.
de la musique pure sans doute; il y a dans la musique de bach moins d’anecdotisme, il ne raconte pas comme beethoven, mais la structure repose sur le principe de la décoration, de l’ornement. le jeune compositeur hongrois, neugeboren, a réalisé plastiquement une partie de la musique de bach et le résultat est bien le même que celui qu’on aperçoit phonétiquement dans bach.
retournons à saint-saëns. comment ce compositeur, inspiré de la musique de bach a-t-il eu des idées si avancés, si modernes sur le vrai caractère de l’art? il émet des idées superbes comme les suivantes:
„j’ai dit et je ne cesserai de le redire, parceque c’est la vérité, que la musique, comme la peinture et la sculpture existe par elle même en dehors de toute émotion; c’est alors la musique pure.
l’émotion, la sensibilité lui donnent la vie, mais cette vie, comme la vie elle même contient un germe de mort.
plus la sensibilité se développe, plus la musique et les autres arts s’éloignent de l’art pur; et lorsqu’on ne cherche plus que des sensations l’art disparait. nous en voyons des exemples qui crèvent les yeux.”
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janvier ’31.
peindre c’est inscrire des rapports purs avec des couleurs. plus elles seront pures, plus ces rapports seront visibles. par rapport, j’entends une liaison constante.
voilà la base d’une peinture pythagorique.
équilibre et perfection sont plus essentiels que forme ou objet. si on peut arriver à créer une oeuvre d’art à base de ces deux qualités supérieures, je me demande à quoi nous „serviront” les attributs „forme” et „objet”?
si un peintre est né en afrique, on exige (on = public et critique d’art) qu’il peigne avec de la terre africaine, avec des ocres. spirituel est identique à „universel” en peinture ce n’est pas sa couleur natale qui nous intéresse, mais son attitute spirituelle traduite en couleurs.
l’esthétique de la génération de la fin du 19ème siècle, n’était pas autre chose qu’une continuation des sentiments humains.
le vrai principe spirituel et libre dans les arts était créé en france par les „décadents”, les vrais poètes comme: mallarmé, verlaine, baudelaire, rimbaud. surtout baudelaire, ce premier „homme nouveau” selon l’expression de canudo, était un des plus grands pionniers au point de vue: „création”.
oscar wilde a pensé au même niveau que baudelaire. c’est surtout leur attitude au point de vue „nature” qui est remarquable.
c’était là où la réaction contre le naturalisme commencait à se développer.
l’animal se transformait en chimère.
enfin le baudelaire-chimère devint le... ribemont-dessaignes.
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